Quels besoins et perspectives en France pour la transition de l’autocar vers des technologies zéro émission ? Telle est la question que se sont posés France Hydrogène et l’Avere-France, qui viennent de publier une étude* sur ce sujet.
Cette dernière présente le marché des autocars, l’offre de véhicules zéro émission**, les solutions envisagées par les différentes régions, les freins rencontrés mais aussi les leviers à actionner pour que les solutions électriques à batteries et à hydrogène « pénètrent plus rapidement le marché du transport de voyageurs en France ».
L’étude commence bien entendu par poser quelques jalons. Elle indique par exemple que sur le parc de 66 000 autocars en opération en France, 90% sont répartis entre le transport scolaire et les lignes régulières. Les 10% restants assurent du transport de tourisme ou du service librement organisé. Près de 90% du parc français d’autocars (scolaires et lignes régulières) est exploité sous l’autorité des conseils régionaux.
Les Régions sont rarement propriétaires des autocars qui sont détenus à plus de 90% par 3 000 entreprises privées, parmi elles, de nombreuses PME-PMI qui exploitent la moitié des véhicules du parc français. Les transporteurs, qui font l’achat des autocars, répondent à des marchés publics ou à des délégations de service public (DSP) pour les exploiter sur les lignes régulières et scolaires.
Et pour l’instant, le constat est sans appel, sur l’ensemble du parc français de 66 000 autocars, seule une centaine de véhicules zéro émission sont aujourd’hui en circulation, alors que parallèlement, plus de 1500 autobus pouvaient déjà se targuer d’entrer dans cette catégorie au 1er janvier 2023***.
Toujours selon l’étude, « la règlementation environnementale sur le segment de l’autocar en 2023 est peu contraignante, contrairement à celle du segment de l’autobus, ce qui explique en partie, que la quasi-totalité des autocars fonctionne toujours aujourd’hui avec une motorisation diesel (98%) ».
Jusque-là, tout observateur sérieux de ce secteur en peut qu’être d’accord avec les diverses affirmations de l’étude. L’adhésion devient un peu plus problématique lorsqu’elle affirme qu’il existe « une offre d’autocars électriques à batterie et à hydrogène déjà existante et compatible avec un grand nombre de cas d’usages ».
Elle rappelle ensuite que les premiers déploiements d’autocars électriques à batterie ont été initiés dès 2017 dans plusieurs territoires français (sans rappeler qu’il s’agissait pratiquement d’expérimentation, NDLR).
Rêves et réalités…
L’étude va plus loin dans sa volonté de démontrer l’adaptation de l’offre industrielle aux besoins du secteur en annonçant que « leurs performances opérationnelles sont alignées avec les besoins d’exploitation du transport scolaire, ou des lignes requérant une autonomie journalière jusqu’à 250 km, et une recharge au dépôt. Les modèles les plus récents offrent des perspectives d’autonomies allant jusqu’à 400 km ».
Cette affirmation est cependant trompeuse car, si les performances évoquées sont peu ou prou réelles, il n’est tenu compte ici ni e la capacité d’investissement des entreprises, des contraintes économiques propres à ces services, ni des modifications profondes que génère le passage à l’électrique en termes d’exploitation.
Autre affirmation qui démontre l’optimisme, parfois excessif dont font preuve certains promoteurs de la transition écologique : « dès 2024, les premiers autocars à hydrogène seront mis sur la route avec une autonomie pouvant atteindre jusqu’à 1000 km. En parallèle, fin 2023/début 2024, les autocars rétrofités qui seront déployés affichent des autonomies de 300 à 500 km, pour des temps d’avitaillement de 20 mn ». Autant d’affirmations qui sont encore fort éloignées de la réalité industrielle, les deux premiers autocars H2 viennent par exemple d’être présentés à l’occasion de Busworld, et les deux constructeurs concernés (Irizar et Temsa) les considèrent clairement comme des prototypes…
L’étude développe ensuite une vision assez « simpliste » en affirmant que les régions françaises envisagent la transition vers des autocars zéro émission, notamment électriques à batterie et à hydrogène.
Selon elle, « environ 36 000 autocars parcourant moins de 200 km/jour pourraient passer à l’électrique à batterie, 15 000 parcourant plus de 250 km/jour à l’électrique à hydrogène, tandis que 15 000 nécessitent une analyse plus approfondie pour déterminer la meilleure solution ».
France Hydrogène et l’Avere-France estiment que les régions montrent un intérêt croissant pour ces technologies, mais regrettent que « leur taux de transition vers le zéro émission reste encore limité, avec des objectifs variables d’ici 2030 ».
Taxer et réglementer, il en sortira toujours quelque chose
Après voir constaté que le secteur de l’autocar électrique est aujourd’hui à un stade de déploiement embryonnaire, au chapitre des explications, le rapport explique cet état de fait par un certain nombre de freins : « un contexte réglementaire non incitatif, une offre de véhicules neufs limitée, un surcoût significatif, ou encore une infrastructure de recharge électrique ou en hydrogène qui ne maille pas le territoire », autant de réalités indiscutables.
Vient ensuite une liste de recommandations qui, toujours selon France Hydrogène et l’Avere-France, permettraient d’accélérer la décarbonation du secteur et le déploiement des autocars électriques à plus grande échelle.
Voici la liste des recommandations :
. Replacer le segment de l’autocar au cœur des politiques environnementales en publiant une feuille de route nationale plus ambitieuse sur le calendrier de déploiement des autocars zéro émission et en mettant en place de façon systématique de critères de sélection adaptés dans les appels d’offres publics pour récompenser les opérateurs proposant des alternatives zéro émission.
. Soutenir l’investissement dans les technologies zéro émission en phase d’émergence du marché pour réduire le surcoût. Ce surcoût des autocars zéro émission reste un frein majeur à l’adoption de ces solutions à grande échelle sur le territoire. Les aides à l’achat mais également le soutien à l’OPEX via notamment la taxe incitative relative à l’utilisation d’énergie renouvelable dans le transport (TIRUERT) pourrait permettre une diminution du prix des sources d’énergie-hydrogène comme électricité.
. Accompagner les exploitants dans le cadre des renouvellements des marchés publics et des délégations de service public en augmentant la durée de contrats proposés, telle que suggérée par la Fédération nationale du transport de voyageurs (FNTV****), pour favoriser la pérennité des entreprises et des emplois, et assurer l’investissement dans des solutions alternatives au diesel.
. Planifier le déploiement de l’infrastructure de recharge pour donner de la visibilité aux opérateurs. Le déploiement d’une infrastructure publiquement accessible selon un calendrier clair à l’échelle du territoire national, pour assurer de la visibilité sur la disponibilité des capacités de recharge électrique et d’avitaillement en hydrogène en France est indispensable. Le règlement européen AFIR qui entrera en vigueur en en avril 2024 contribuera à lever ce verrou.
Du bon, c’est-à-dire concret (comme dans le cas de l’allongement des contrats), et parfois du moins bon, car un peu éloigné de la réalité actuelle du terrain… comme souvent lorsque l’on parle en Europe de transition et planification écologique.
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*Pour construire cette étude, des échanges ont été menés avec des constructeurs et acteurs du rétrofit, des exploitants, des associations de représentants du transport de voyageurs, ainsi qu’avec les donneurs d’ordre clés que sont les régions. Dix d’entre elles ont contribué en répondant à une enquête dédiée aux flottes d’autocars des entreprises auxquelles elles délèguent leur exploitation.
**Note sur la terminologie utilisée dans l’étude : dans l’ensemble du document, les véhicules dits « zéro émission » désignent des véhicules électriques à batterie ou électriques à hydrogène, n’émettant aucun polluant à l’échappement. Cette terminologie se réfère à la dénomination couramment utilisée à l’échelle européenne. Dans certains textes français, les termes « véhicules très faibles émissions » sont également utilisés.
***Service des données et études statistiques (SDES). Données sur le parc de véhicules en circulation au 1er janvier 2022.
****FNTV, (2020) Les contrats publics du transport routier de voyageurs.