Tribune de l’AMF. La politique de transports passe avant tout par le financement des routes

par | 24 Avr, 2025 | Autobus, Autocar, Entreprise, Equipement, Les dossiers, Réseau

Qu’on le veuille ou non, la voiture reste le moyen de transport privilégié des Français : 90% des déplacements sont réalisés en voiture. Notre réseau routier, qui s’étend sur près d’un million de kilomètres, est ainsi la colonne vertébrale du pays, essentielle à l’emploi, l’accès aux soins, le commerce, l’éducation, la culture, à la société.

 

Or, ce réseau est aujourd’hui au bord de la rupture. Son modèle économique ne tient pas. L’entretien onéreux des routes a été confié pour l’essentiel aux communes et intercommunalités par l’Etat qui, en parallèle, s’est accaparé les recettes publiques générées par la route : taxes sur les carburants, sur les immatriculations, redevances des péages, produit des amendes. Le bloc communal entretient aujourd’hui 700 000 kilomètres de voirie, soit 65,5% du réseau national et plus de 120 000 ponts. En face de cette charge, il n’y a aucune ressource dédiée, tandis que l’Etat a conservé la seule portion qui « rapporte » : les 11 000 km d’autoroute. Et budget après budget, l’Etat ponctionne les recettes des collectivités, réduisant chaque année davantage leurs capacités d’investissement.

 

Les conséquences de ce déséquilibre sont majeures. Les infrastructures sont de plus en plus usées, un phénomène accentué par la hausse de leur fréquentation par des véhicules lourds, ce qui met en danger les usagers. Les maires sont personnellement exposés, puisque le défaut d’entretien d’un pont ou d’un chemin rural engage leur responsabilité pénale.

 

Les communes et intercommunalités doivent aussi respecter des normes sans cesse plus nombreuses pour l’entretien des routes, de l’exigence de désamiantage aux normes de sécurité routière. Si elles peuvent être justifiées, ces contraintes accrues compliquent encore davantage cette mission.

 

L’organisation des transports publics souffre aussi d’un même déséquilibre, dû au manque de financement, à la complexité administrative, à la pression de certaines régions, au désintérêt de l’Etat pour les communes peu denses. La « loi d’orientation des mobilités », adoptée en 2019, devait garantir l’accès de tous aux transports, sur tout le territoire. Six ans plus tard, le désenclavement des zones rurales n’a pas eu lieu. Voici donc encore une loi aux objectifs grandiloquents – le « droit à la mobilité » – et dont l’exécution a ensuite été défaillante. Seule la moitié des intercommunalités a pu se doter de la compétence d’autorité organisatrice de la mobilité dans les délais bien trop brefs qui avaient été ouverts. Il en résulte une fracture territoriale entre ceux qui ont accès à ces transports et les autres, qui n’ont pas d’alternative à la voiture individuelle. La fracture en devient sociale quand s’y ajoutent le manque d’attractivité pour les entreprises qui en résulte, donc la carence d’emplois, et l’instauration des ZFE qui accablent les automobilistes modestes.La réalité est sévère. Et ce constat est dès lors porteur d’une exigence de changement. A l’heure où le ministre des transports lance une conférence des mobilités « Ambition France Transports », et où les concessions autoroutières doivent prendre fin, il faut travailler sur l’entretien de la route et des autres infrastructures, et sur la politique de transports. La conférence annoncée ne doit pas se limiter à une négociation sur le déploiement des services express régionaux métropolitains ou l’avenir des concessions autoroutières et inclure le modèle de financement des routes à long terme. Les communes et intercommunalités doivent être associées à ces travaux.

 

Il est temps de construire un modèle de financement équilibré en réorientant une part des recettes générées par l’utilisation de la route vers les collectivités qui l’entretiennent au quotidien. Pour une politique de transports qui permette le désenclavement, il faut rouvrir l’accès à la compétence de mobilité pour les intercommunalités sur une base volontaire. Les mécanismes de financement doivent être adaptés aux réalités rurales : le versement mobilité ne doit pas peser sur les entreprises sans soutenir le transport dans les zones rurales. Enfin, il faut que les élus locaux soient associés aux grandes décisions en matière de transport, notamment dans les projets de services express régionaux métropolitains.

 

La route et les transports sont une énième illustration d’un modèle à bout de souffle, fait de communication et d’annonces sans moyens et sans suivi, dans lequel l’Etat énonce des grands objectifs sans assurer les conditions de leur exécution, dans lequel les communes et intercommunalités se voient transférer des charges sans financement hormis des aides ponctuelles, aléatoires et partielles, dans lequel le gouvernement ponctionne les ressources locales nécessaires aux investissements, dans lequel aussi les zones rurales qui constituent l’essentiel du pays sont absentes de la discussion, ou encore dans lequel les contribuables sont taxés sans résultat. Pour une action publique efficace, afin de résorber la fracture entre zones rurales et urbaines, de garantir l’accès à des équipements sûrs et de qualité, et de se préparer aux défis de demain, il faut pouvoir agir localement. Il est temps.

(Tribune publiée par l’Association des Maires de France le 24 avril 2025)

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